08/11/2007 20:48 Nicolas Sarkozy, six mois à
08/11/2007 20:48
Nicolas Sarkozy, six mois à plein régime
Depuis six mois à l'Élysée, Nicolas Sarkozy a imprimé sa marque. Décryptage d'un style et d'une méthode qui modifient profondément l'image de la fonction présidentielle et la perception de l'autorité suprême
Nicolas Sarkozy en visite au Guilvinec à la rencontre des pêcheurs en grève, mardi 6 novembre (photo Durand/AFP).
Un style en rupture avec les codes présidentiels
Mardi
matin 6 novembre, au Guilvinec (Finistère). Les pêcheurs en colère
attendent le président. De pied ferme. Celui-ci arrive, entouré d’une
horde de gardes du corps. Une insulte fuse. « Qui a dit ça ? cherche
Nicolas Sarkozy, furieux. Toi, si tu as quelque chose à dire, tu n’as
qu’à venir ici ! Tu descends ! »
Du jamais vu, relève le
linguiste Pierre Encrevé, pour qui le choix du tutoiement est
totalement inédit en France à ce niveau de responsabilité. Dès le début
de son mandat, Nicolas Sarkozy a imprimé un style, une marque, en
apparence plus décontractés que ses prédécesseurs. À peine arrivé à
l’Élysée, il grimpait quatre à quatre les marches du palais
présidentiel, en short et en baskets, après son jogging.
Quand
il cherche à convaincre un interlocuteur, il le touche, lui presse le
bras, l’épaule. Il agit aussi ainsi avec ses homologues étrangers. Et
n’hésite jamais à faire usage d’une langue familière : l’abandon de la
particule négative ou l’usage du tutoiement, notamment. « Quand il
s’exprime de manière spontanée, le chef de l’État emploie un parler
simple et direct, relâché, décrypte Pierre Encrevé. Il brise les
conventions de la monarchie républicaine qui voulait que le président
s’exprime avec une distance qui le distingue du vulgaire. En cela,
Sarkozy semble négliger la dimension symbolique de l’exercice du
pouvoir suprême. »
Pour le sociologue des médias Denis Muzet,
auteur d’un livre à paraître en janvier (Le Télé-Président), « la
rupture sarkozyste se situe dans le style, pas sur le fond ». « Le
président apparaît plus proche, c’est quelqu’un à qui l’on peut
s’identifier, dit-il. Ce qui peut contribuer à désacraliser la
fonction. » Si certains se félicitent de ce que le président apparaisse
plus accessible, d’autres estiment au contraire que l’autorité a besoin
de se distinguer pour être respectée. « Ce relâchement dans le style,
cette façon de parler, de contourner le protocole ou les usages,
déprécient l’autorité suprême », croit ainsi le politologue Dominique
Reynié.
Une autorité sans partage
Dès
cet été, Nicolas Sarkozy a donné des consignes aux ministres : « Je ne
vous en voudrai jamais d’avoir refusé une interview mais vous serez
renvoyés pour une mauvaise interview. » Le ton est donné. Plusieurs
ministres, qui se sont vu corriger publiquement pour avoir parlé trop
vite, ont pu constater que le chef de l’État ne plaisantait pas.
Nicolas Sarkozy distribue ainsi les bons et les mauvais points, vantant
en public le travail « remarquable » de tel ou tel, mettant
implicitement ou non la pression sur les autres.
Au
gouvernement, beaucoup reconnaissent que l’ambiance n’est « pas
terrible ». « C’est un management par la terreur, souffle un ministre,
qui a pourtant la cote. Ça marche pour certains, mais ça paralyse les
autres. » À l’Élysée, on préfère parler de « méthode entrepreneuriale
». « Le président est à flux tendus sur les résultats, explique un
conseiller. Qu’il écrive un livre ou qu’il dirige la France, il veut
savoir comment ça se passe : les chiffres de vente ou les résultats
obtenus. Il est comme un pilote d’avion, les yeux fixés sur ses cadrans
de contrôle. »
Un pilote qui donne parfois l’impression d’être
seul à bord, laissant le copilote – le premier ministre – et l’équipage
– les ministres – sur le tarmac. Bernard Kouchner en a fait les frais
dans le dossier tchadien. De même que le ministre de la pêche, Michel
Barnier, qui s’est contenté de jouer les figurants aux côtés du
président, lors de la visite aux pêcheurs. « Il aspire l’oxygène de
toute la classe politique, de tout le gouvernement », reconnaît le
député UMP Pierre Lellouche.
À l’Élysée, où l’on ne fait pas
semblant de sauvegarder les apparences, on reconnaît volontiers « une
vision très concentrée du pouvoir » : « Tout se passe entre le
président et les onze principaux collaborateurs qu’il réunit tous les
matins, confie un haut gradé du « Château ». Tout est piloté ici. Les
meilleurs des ministres essayent de courir derrière les onze, pour ne
pas tomber du train en marche. Rachida Dati court bien. Xavier Bertrand
aussi. Mais beaucoup ont déjà décroché. »
Inhibés par
l’omniprésence du président, parfois dépossédés de leurs dossiers, les
ministres doivent s’effacer devant le chef. Même si tous continuent à
travailler, hors caméras. « Sarkozy est l’acteur, les ministres sont
les machinistes », indique le sociologue Denis Muzet. Une répartition
des rôles qui déséquilibre et affaiblit l’État, estime le député UMP
François Goulard, pour qui la « méthode Sarkozy » est «
contre-productive ». « Les ministres sont contredits, décrédibilisés,
déresponsabilisés. Leur autorité se voit écornée, ils perdent la main
sur leurs administrations. C’est la porte ouverte à l’immobilisme. Le
président a besoin de ministres forts. »
Une communication intensive
Nicolas
Sarkozy a théorisé depuis longtemps la communication comme condition de
l’action. « La communication est à l’action ce que la force aérienne
est à l’infanterie », répète-t-il. Devant ses plus proches
collaborateurs, il a récemment lancé : « La communication politique, ça
doit être du gros rouge qui tache ! »
Son fidèle conseiller
pour la presse, Franck Louvrier, résume : « C’est clair, notre objectif
est d’abord de gagner la bataille de la communication. » Cette
stratégie d’omniprésence médiatique avait déjà fonctionné à plein place
Beauvau. Depuis qu’il est à l’Élysée, Nicolas Sarkozy se montre partout
à la fois. Il asphyxie les médias en leur imposant son agenda, à un
rythme effréné. Cette stratégie de saturation médiatique s’apparente à
ce que les militaires appellent le « carpet bumbing » (le tapis de
bombes).
En multipliant les interventions, le président «
bombarde » les journalistes, qui manquent de temps pour l’analyse et
les bilans. Un sujet chasse l’autre. Une erreur ou une maladresse est
oubliée le lendemain. « Sarkozy est né avec la télévision, analyse
encore Denis Muzet. Il maîtrise parfaitement les ressorts du spectacle
télévisuel et en joue. »
Pour les observateurs, il s’agit d’un
pari risqué. « Si les résultats ne sont pas à la hauteur de
l’affichage, il peut y avoir un retournement, poursuit le sociologue
des médias. Avec, comme conséquence, une perte de crédibilité de la
parole présidentielle. » « Le rejet peut remplacer l’engouement,
renchérit l’ancien ministre François Goulard. Mais si les Français ne
se lassent pas, Sarkozy, qui a parfaitement intégré que le citoyen est
d’abord un téléspectateur, aura finalement renforcé l’image du
président. Et définitivement rompu avec les archétypes de la figure du
souverain issus de l’Ancien Régime. »
Le tropisme du sauveur
Nicolas
Sarkozy a éprouvé cette méthode au ministère de l’intérieur. En 2003,
alors qu’il était l’invité de l’émission « Cent minutes pour convaincre
», sur France 2, ses proches avaient ainsi plaisanté : « Il sera en
concurrence avec le commissaire Moulin, sur TF1, et Arnold
Schwarzenegger, sur France 3. On reste dans le même registre ! »
Le
même registre : Moulin rassure et protège, Schwarzenegger est un «
missionnaire », un sauveur. Persuadé que « la première préoccupation
des Français, c’est de ne plus avoir peur », Nicolas Sarkozy veut
ra-ssu-rer. Dès que surgit une difficulté, un conflit, il monte au
front, provoque le contact direct, voire l’affrontement, comme avec les
pêcheurs, mardi, ou les cheminots grévistes, fin octobre. « Je n’ai pas
peur », ne cesse-t-il de marteler.
C’est une sorte de « défi
viril » – « descends si tu l’oses ! » – que Nicolas Sarkozy lance aux
cheminots ou aux pêcheurs, constate Pierre Encrevé, qui relève
également l’emploi fréquent de la formule « J’irai chercher » (NDLR :
la croissance, les Français retenus au Tchad, etc.). Pour le linguiste,
il s’agit là d’une « illusion de la toute-puissance ». « Il donne le
sentiment, parce qu’il a été élu, qu’il pourrait même aller chercher la
pluie en cas de sécheresse, poursuit l’expert. Cette idée se heurte
évidemment à la réalité. »
Pour Denis Muzet, Sarkozy joue à
plein la « personnalisation du pouvoir ». « C’est un héros de
téléréalité, analyse le sociologue. Un héros identifiant comme Zorro,
James Bond ou Jack Bauer, de la série américaine “24 heures”. Il montre
au télé-citoyen un monde de menaces et se présente lui-même en
guerrier, en sauveur. »
Pour les uns, comme le député du Nouveau
Centre Nicolas Perruchot, cette implication du président dans tous les
dossiers, comme celui du Tchad, « grandit la fonction présidentielle ».
D’autres, à l’instar des chiraco-villepinistes, croient l’inverse. « Le
chef de l’État ne doit pas se mêler de la vie quotidienne », met en
garde l’ancien premier ministre Dominique de Villepin. « Le président
français a un rôle à jouer sur la scène internationale, renchérit le
député François Goulard. En se mêlant lui-même du dossier de l’Arche de
Zoé, il perd en crédibilité. »
Pour le sociologue Denis Muzet,
l’autorité suprême telle que l’incarne Nicolas Sarkozy n’est ni
grandie, ni écornée. Elle change de nature. « L’autorité suprême repose
désormais sur la performance, plus seulement sur le fait que le
président se situe au sommet de l’État. »
Le directeur de
l’institut de sondages BVA, Jérôme Sainte-Marie, est plus circonspect :
« Sarkozy est un président de combat rapproché. Quand il va voir les
cheminots, il apparaît comme courageux, comme celui qui débloque les
situations. Mais ce qui a marché comme candidat ou chef de la police
est un pari plus risqué comme président. Les Français restent
profondément attachés à l’image d’un président arbitre, au-dessus de la
mêlée. Cela les rassure. Si Nicolas Sarkozy va trop loin, il peut
abîmer la fonction, en tout cas la représentation idéale que les
Français en ont. Ces derniers se sentiraient alors dépossédés. »
Solenn de ROYER
(1) Vient de paraître : La nuit du Fouquet’s, d’Ariane Chemin et Judith Perrignon (Fayard).